Le revenge porn : Quand l'intimité des femmes haïtiennes devient une cible.
- konektem info
- il y a 4 jours
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À l’ère du numérique, de plus en plus de femmes haïtiennes deviennent les cibles de violences numériques, un phénomène alarmant où des vidéos ou photos intimes sont diffusées sans leur consentement. Ces actes ne sont pas sans conséquences : ils détruisent des réputations, bouleversent des vies, et dans certains cas, poussent à l’extrême.
Le cas de Roselande Bélony, 21 ans, en est une illustration récente. Figure montante du journalisme et de la mode, elle a vu son image publique gravement ternie par la diffusion d’une vidéo intime sur les réseaux sociaux. Mais elle n’est pas seule dans cette situation. L’artiste Tafa Mi-Soleil, elle aussi, a subi la fuite d’un contenu personnel, et d’autres femmes, accablées par la honte et le harcèlement, ont mis fin à leurs jours. En Haïti, selon les données du Fonds des Nations Unies pour les activités en matière de population (UNFPA), 6 488 cas de violences basées sur le genre ont été signalés entre janvier et juin 2024, avec une augmentation des cas liés aux violences numériques, notamment chez les jeunes femmes de moins de 25 ans.
Le numérique comme arme : réseaux sociaux et plateformes complices
Facebook, Telegram et TikTok sont devenus des canaux privilégiés pour la diffusion massive de ces contenus intimes. Des groupes privés, parfois comptant des milliers de membres, circulent des vidéos volées ou enregistrées à l’insu des femmes. Des blogueurs ou influenceurs peu scrupuleux alimentent cette industrie du scandale en relayant ces contenus pour générer du trafic. Loin de dénoncer ces agissements, certains créent même des espaces “d’archivage” de vidéos sexuelles, alimentés par des fuites, du chantage ou des enregistrements dans des contextes vulnérables.
Des voix juridiques s’élèvent : la loi reste muette
Haïti ne dispose à ce jour d’aucune loi spécifique encadrant la protection de la vie privée en ligne ou criminalisant explicitement la diffusion non consentie d’images intimes. Le juriste Me Emmanuel Jeanty souligne : « En Haïti, ces délits sont souvent traités sous l’angle général des atteintes à la vie privée, sans mécanisme numérique adapté ». Il insiste sur la nécessité d’un cadre légal clair, comme cela existe ailleurs.
À l'international, plusieurs pays ont déjà légiféré :
• France : l’article 226-1 du Code pénal punit la diffusion de contenus intimes sans consentement de 2 à 5 ans de prison et jusqu’à 300 000 € d’amende.
• États-Unis : la "Revenge Porn Law" permet d'engager des poursuites contre les auteurs, avec des peines allant jusqu’à 5 ans.
• Belgique : l’article 442bis punit les auteurs de 3 ans de prison et d’amendes lourdes.
• Corée du Sud, Japon : des peines allant jusqu’à 10 ans de prison.
Vivre après le scandale : témoignages et résilience
Les victimes de ces violences ne sont pas que des cas médiatiques : elles sont nombreuses, silencieuses, et souvent livrées à elles-mêmes. Une jeune étudiante à Port-au-Prince témoigne sous anonymat : « J’ai tenté de me suicider après que mon ex ait partagé une vidéo intime. Je n’ai pas osé retourner à l’université pendant des mois ». Ces récits sont malheureusement fréquents. Une enquête du programme "Ton corps, ton bodyright" (UNFPA, 2023) montre que 68 % des jeunes femmes ayant subi une exposition en ligne affirment avoir développé de l’anxiété, des pensées suicidaires ou quitté leur emploi ou études.
Réponses haïtiennes : entre silence officiel et mobilisation citoyenne
Même si l’État tarde à légiférer, la société civile ne reste pas silencieuse. Des organisations féministes comme SOFA, des projets comme "Ton corps, ton bodyright", ou encore l’Initiative Spotlight (financée par l’UE et l’ONU), mènent des actions de sensibilisation, de prise en charge psychologique et de plaidoyer pour une loi contre les violences numériques.
Des journalistes, militants et créateurs de contenu haïtiens, de plus en plus, refusent de partager ce genre de contenus et s’engagent dans la démystification du revenge porn comme une forme de violence sexuelle. La plateforme Politik Ayiti, par exemple, a récemment publié un épisode dédié à la nécessité d’une législation haïtienne contre la cyberviolence.
Un combat pour la dignité, la justice et la sécurité numérique
Roselande, Tafa, et tant d’autres dont les noms ne seront jamais connus, sont les visages d’un phénomène plus vaste : Le revenge porn, qui vise à détruire, humilier et contrôler. Tant que l’impunité règnera, ces actes continueront.
Lutter contre la Cybercriminalité, c’est reconnaître que l’intimité est un droit fondamental. C’est refuser que les plateformes deviennent des tribunaux publics de l’humiliation. Et c’est surtout, exiger des lois, des réparations, et un filet de soutien pour les victimes.
Redaksyon: Ronalson BLANFORT
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